Un macaroni au travail...

Ses doigts tapotaient nettement moins vite sur son clavier depuis quelques heures. Les chiffres défilaient toujours aussi rapidement sur son écran, mais sa vision commençait à se brouiller et il clignait des yeux, comme gêné par l'éclat un peu trop lumineux de son ordinateur.

La fatigue, comme toujours, était son ennemi numéro un : il était certes plus résistant que ses homologues humains qui, incapables de survivre sans leur dose de sommeil, fermaient tous les jours à Bourse à 16h, heure de New-York, mais son organisme n'était pas de taille à supporter plus de 48h sans un peu de repos. Et cette faiblesse énervait au plus haut point Cesare : il aurait voulu ne jamais éteindre son écran, continuer à suivre le cours des actualités... Devenir omniscient par la seule force de sa volonté. Et pouvoir prédire l'avenir.

Une fusion allait se jouer dans les heures à venir, il en était sûr. Une grosse société agro-alimentaire se rapprochait un peu trop d'une industrie pharmaceutique... Quelque chose se tramait.
Et puis, pauvre petite chose, risquait de passer à côté parce qu'il aurait les yeux fermés.
Non, cela n'arriverait pas ! Il tiendrait le coup et remporterait la partie, comme toujours. Ses doigts se remirent à pianoter un peu plus énergiquement, tentant vaillamment de suivre le cerveau dérangé qui leur servait de général en chef des armées.

Il prit juste le temps de passer sa main sur son visage, comme pour mieux se réveiller, avant de se remettre au travail.

La pendule sur le côté de son bureau continuait inlassablement d'émettre un tic-tac ronflant et agaçant, comme un rappel ironique à Cesare que le temps passait et que ses forces s'amenuisaient.
Il l'évitait ostensiblement : cette saloperie d'horloge se lasserait avant lui, foi de Giovanni ! De temps en temps, le mécanisme avait une petite faiblesse et émettait une sorte de rot mécanique qui ralentissait son rythme habituel. Dans ces moments-là, l'esprit de Cesare s'agitait, et s'il avait eu un coeur encore palpitant, nul doute que ce dernier aurait battu un peu plus vite. L'espace d'un court instant, un quart de seconde, il avait l'impression que l'éternité s'ouvrait enfin à lui, et il adorait se bercer d'illusions.

Depuis combien de temps n'avait-il rien bu ? Il savait qu'il y avait des poches de sang dans son réfrigérateur, mais l'idée même de quitter son ordinateur, juste le temps de se lever pour aller les chercher, lui était insupportable.
Sa langue passait et repassait sur ses lèvres sèches, et ses yeux fixaient obstinément l'écran.

Là, la fusion était là... Ils allaient l'annoncer... Les cours s'envoleraient. Il fallait bondir sur l'occasion.

Driiiiing...

Il sauta sur le téléphone sans décrocher son regard de l'écran et se le colla à l'oreille :

"Pronto ?"
" Cesare, è Mama ! Come vai? Sai che..."
" Mama, non sono qui."

Et il raccrocha.
En cet instant, il n'était le fils de personne. Il n'était que le doigt qui validerait l'achat d'actions ou non.

Tant pis pour sa soif. Tant pis pour son corps fatigué. Tant pis pour les imbéciles qui tentaient de le distraire de sa mission.

Devenir fou n'était pas important. Ce qui primait, c'était le nerf de la guerre...

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Traduction : "allô ?"
"Cesare, c'est Maman. Comment vas-tu ? Sais-tu que..."
"Maman, je ne suis pas là."